Chapitre 8: Reprise de l’activité politique à  Bad Kreuznach

Aussitôt après sa libération par les Américains, de la prison de Butzbach, le 1. Mais 1945, Hugo Salzmann se mit en route pour Bad Kreuznach, sans vivres ni argent, comme l’indiquait sa carte d’identité délivrée par la direction pénitentiaire. A la fin de la guerre, ils étaient environ 25 millions d’Allemands, réfugiés, victimes de bombardements, évacués, travailleurs forcés, prisonniers de guerre, libérés de prison ou de camps de concentration, sans patrie, à parcourir le pays en tous sens. Il était donc indispensable de les enregistrer, d’en avoir le contrôle, de trouver un moyen de les rapatrier. Il en fut ainsi pour Hugo Salzmann. A son retour, il devait passer le Rhin à Mayence pour rejoindre Bad Kreuznach. Le 2 mai 1945, il obtint un laissez-passer du maire de Mayence.

Laissez-passer établi par le maire de Mayence, permettant à Hugo Salzmann de rentrer à Bad Kreuznach (Source : privée)

Dans quel état allait-il retrouver « son » Bad Kreuznach après 12 années d’absence ? La vue qui s’offrait à ses yeux était désastreuse. La destruction avait été principalement l’œuvre des bombes incendiaires, déversées par les avions. Six attaques à la bombe. 53% des bâtiments d’habitation détruits ou endommagés. Les usines détruites à 75% ainsi que la presque totalité des bâtiments publics. Une destruction générale de 65% ; à laquelle s’ajoutait d’importants dégâts dans le réseau routier, l’approvisionnement et les canalisations. A l’approche des Américains, les Allemands avaient fait sauter tous les ponts importants sur la Nahe le15 mars 1945. Les chemins de fer de la Nahe étaient détruits. Les principaux nœuds ferroviaires, autrefois stratégiques, également paralysés.

Bombardier B17 du 2 janvier 1945 au-dessus de Bad Kreuznach. Vue d’avion.
(Source : archives de la ville de Bad Kreuznach)


Le 16 mars 1945, les troupes américaines venant du Hunsrück atteignirent Bad-Kreuznach.
Alors que les « grands » Nazis de la ville se « défilaient ». Le dernier commandant allemand de la ville, Johann Kaup, réussit à éviter une plus grande destruction de la ville.

Le 19 mars 1945, un jour après la libération de Bad Kreuznach, Hitler fait part à ses « grands » nazis, de ce qu’il pensait maintenant de « son » peuple, qui l’avait acclamé dans sa majorité, et qui s’était laissé entraîner dans une guerre, joyeux et fanatique.

Discours d’Hitler du 19 mars 1945 (« Ordre-Néro)

Il importe peu d’épargner les bases dont le peuple allemand aurait besoin pour une survie rudimentaire. Il vaudrait même mieux les détruire. Car le peuple s’est montré être le plus faible. Désormais l’avenir appartient aux peuples supérieurs de l’Est. Ceux qui ont survécu sont de toute façon sans valeur, les meilleurs sont tombés.


Photo de « travailleurs civils » russes pendus, et abandonnés dans le fossé. Printemps 1945
(Source : privée)

A son retour à Bad Kreuznach, Hugo Salzmann obtint une « carte d’enregistrement temporaire », émise le 4 mai 1945 par le gouvernement militaire allemand. Elle attestait en allemand et en anglais, qu’il était enregistré comme habitant de Bad Kreuznach et qu’il lui était absolument interdit de quitter la ville. Auquel cas il serait immédiatement arrêté. Le détenteur de cette carte devrait la porter sur lui en permanence. Evidemment, Hugo Salzmann n’avait nullement l’intention de quitter Bad Kreuznach de si tôt, trop heureux de se retrouver chez lui.

Carte d’enregistrement temporaire  du gouvernement militaire allemand du 4 mai 1945.

Quelques jours après le retour d’Hugo Salzmann à Bad Kreuznach, se terminait officiellement la deuxième guerre mondiale, qui avait débuté le 1er septembre 1939 par l’invasion de la Pologne.

Plus tard, après des décennies, les Allemands se demandent encore si c’était une défaite ou une libération. Pour Hugo Salzmann et pour ceux que le régime nazi avait persécutés, il n’y avait aucun doute, c’était la libération. Libre, enfin libre !

Scène de rue dans le Bad Kreuznach détruit. Une voiture à bras allemande rencontre un véhicule militaire américain.
Mars/avril 1945. (Source: Archives de la ville de Bad Kreuznach)

Heureusement, les sœurs d’Hugo Salzmann étaient à Bad Kreuznach et dans les environs. D’autres camarades et compagnons de combat avaient également survécu.

 
Mais il brûlait d’avoir des nouvelles de sa famille ; de sa femme Julianna dont la dernière lettre du camp de concentration de Ravensbrück datait de janvier 1944, et de son fils Hugo qu’il savait se trouver chez sa belle sœur à Stainz en Steiermark. Il se faisait également du souci pour son frère Karl, qui, après une blessure, lui avait rendu visite à la prison de Butzbach fin 1944, avant de repartir sur le front Est. Le mari de sa belle sœur Ernestine était soldat lui aussi, et son sort était incertain.

La nouvelle de la mort de sa femme Julianna au camp de concentration de Ravensbrück, survenue quelques mois seulement avant la libération, lui porta un coup. Son destin avait été bien lourd ; elle l’avait enduré avec bravoure, mais les forces l’avaient abandonnée après tant d’années de lutte pour survivre. Elle était morte le 6 décembre 1944. Ce n’est que peu à peu, qu’Hugo Salzmann en apprit les détails.

La gestapo l’avait recherchée dès l’occupation de Paris par la Wehrmacht en 1940. Elle logeait illégalement à tour de rôle chez des amis français. Entre autre chez Gaston et Emma Honoré au 22 Cité Leclaire à Paris - Emma Honoré était née Steeg – ou chez Louis et Anna Bernard, au 9 rue de la Chapelle à Villejuif, dans la banlieue parisienne. Anna Bernard était née Assmann et originaire de Bad Kreuznach. La Gestapo apprit que Julianna Salzmann se trouvait en relation avec les Bernard. Ne pouvant trouver Julianna, ils arrêtèrent Anna Bernard, qu’ils ne libèreraient que si Julianna Salzmann se livrait à la gestapo. Julianna Salzmann se trouvait donc devant un choix lourd de conséquence : Soit Anna Bernard resterait en otage, soit elle se livrait, se faisait arrêter, se remettait à un sort plus que précaire, mais Anna Bernard serait libérée. Julianna se rendit à la gestapo et déclara à Louis Bernard :

Julianna Salzmann se rend à la gestapo avec ces mots pour ceux qui l’avaient aidée dans l’ombre.

Je n’ai qu’un enfant. Vous en avez quatre. Je me rends à la gestapo pour que ces quatre enfants retrouvent leur mère.

 

Julianna Salzmann à la fin des années trente (Source : privée)

C’est ce qu’elle fit sans tarder ; elle fut immédiatement arrêtée et se retrouva du 28 novembre au 7 décembre 1940 à la Santé à Paris. Il fallu cependant encore un mois avant qu’Anna Bernard ne soit libérée et puisse rejoindre sa famille.

Hugo Salzmann apprit que son fils Hugo et sa femme avaient été séparés lors de son arrestation le 27 novembre 1940 et ne s’étaient jamais revus. Hugo fut envoyé à la campagne aux Mesnuls (Maule) chez les Leclus. Il y était déjà allé auparavant avec sa mère. Maintenant il y était seul pour une durée indéterminée. Pour le petit garçon de huit ans, ce fut une période terrible dont il ne se souvient qu’avec effroi. Tout y était triste, sans amour, misérable. On l’obligeait à aider M. Leclus, ce qui ne se passait pas toujours très bien. Le summum fut atteint lorsque M. Leclus scia un arbre qui tomba sur Hugo. Celui-ci s’évanouit et eut des maux de têtes terribles pendant des jours entiers.

Les adieux de chez les Leclus survinrent aussi soudainement que dénués de toute chaleur. Un beau jour d’avril 1941, M. Leclus dit à Hugo de faire ses bagages ; muni d’une valise, il le conduisit à Paris. Pour la première fois, il lui tendit la main et prit congé de lui en lui disant : «  Au revoir, Hugo, et bonne chance ». Voilà, ce fut tout.

Hugo fut pris en charge par des employés du centre de rapatriement allemand et, grâce à la Croix Rouge, il put rejoindre la famille de Julianna à Stainz en Steiermark en Autriche. En la personne d’Ernestine (Tinnerl) Fuchs, sœur de Julianna, Hugo trouva une tante pleine de tendresse, qui lui tint lieu de mère.

Julianna Salzmann écrivit des cartes mais aussi des lettres aussi souvent que possible, en dernier depuis le camp de concentration pour femme de Ravensbrück. C’était bien difficile de maintenir le contact. Elle n’avait le droit d’écrire qu’une fois par mois, était obligée de se tenir à un certain contenu. De plus, la censure la forçait à ne donner aucune information négative sur le camp ou sur sa situation personnelle. Sur l’enveloppe elle-même, on trouvait le règlement du camp, de sorte que l’on savait immédiatement d’où elle venait, qui l’avait écrite, et dans quelles circonstances.

Enveloppe contenant un extrait du règlement du camp avec tampon de la censure du 
camp de concentration (Source : privée)

 

Dernière lettre de Julianna Salzmann, adressée à sa sœur Ernestine et aux autres membres de la famille se trouvant à Stainz en Autriche, datant de novembre 1944

Bien chers tous !
J’ai bien reçu votre lettre et suis heureuse d’avoir de bonnes nouvelles de vous tous. Je suis désolée d’apprendre que père n’aille pas bien ; j’aimerais tant le revoir ! Je suis sans nouvelle d’Hugo et je m’inquiète à son sujet. Peut-être pouvez-vous lui écrire. Chère Tini, j’ai reçu deux paquets. L’un contenait des pommes séchées, l’autre des oignons. J’ai bien reçu le tout et en bon état. Merci infiniment. Envoie-moi des cassis séchés, si tu en as. Et maintenant, quelques mots pour toi, mon cher enfant. Après-demain, ce sera ton anniversaire, tu auras 12 ans. Voilà tant d’années déjà que tu le fêtes sans tes parents ! Mes vœux les meilleurs t’accompagnent. Sois sage et reste en bonne santé. Continue de bien travailler à l’école, et j’espère que nous serons bientôt tous réunis avec ton papa. J’espère qu’il va bien. Je pense qu’il y a douze ans, nous étions à Bad Kreuznach. C’est ta ville natale Hugo, c’est une bien jolie ville ! Nous y avions beaucoup d’amis, et, lorsque tu es né, ce fut pour eux aussi une très grande joie. Nous y retournerons, lorsque nous nous serons retrouvés tous les trois. Je te serre bien fort, et je t’embrasse. Donne le bonjour à tous, aux frères et sœurs, à Paula et à ceux de Kreuznach.
Votre Julerl reconnaissante.

Julianna Salzmann mourut 1 mois plus tard, désespérée, et sans avoir revu les siens, le 6 décembre 1944, au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück.
Une compagne qui était restée avec elle jusqu’au bout, décrivit plus tard à Hugo Salzmann les derniers moments de sa vie.

Lettre de Luise Oehl, à Hugo Salzmann, du 11 décembre 1946:

Julianna, si bonne et si courageuse, restée fidèle à elle-même, a été victime du typhus, trois mois seulement avant la fin du camp. Elle qui désirait tant rentrer chez elle, convaincue qu’elle y parviendrait ! La veille de sa mort, je suis allée la voir, sur sa couche de malade, dans la salle de quarantaine. Déjà pendant toute sa maladie, je lui ai apporté une infusion tous les jours, elle ne pouvait pratiquement plus rien manger. J’ai pu aussi lui procurer des piqûres de glucose, une chemise de nuit propre, une tasse, une assiette, qu’elle avait désirées avoir. J’ai tenu ses mains décharnées, lui ai caressé les cheveux, les joues brûlantes de fièvre. J’ai essayé de la convaincre de manger, pour qu’elle puisse vous rejoindre. Mais la pauvre n’en pouvait plus, elle était trop faible, son cœur n’a pu venir à bout de la fièvre. Et dans sa détresse elle disait « que je suis heureuse que tu sois là, Luise ! »
Le lendemain soir, elle s’éteignit, dans la nuit noire, lors d’une alerte aérienne. Nous avions quelques camarades à l’infirmerie qui l’installèrent sur un brancard et l’enveloppèrent dans un drap blanc, avant de l’emporter dans la cave où l’on mettait les corps. A ce moment là, elles étaient de 60 à 100 femmes par jour à mourir dans le camp. La plupart n’atteignaient même pas l’infirmerie. On les emmenait au bloc des malades. On les rassemblait le mâtin, leur ôtait leurs vêtements, et on les entassait nues dans des carrioles, pour les mener au four crématoire. Cette nuit là, à la prison de Butzbach, Hugo Salzmann l’avait entendue l’appeler en rêve. Le frère d’Hugo, Karl, lui non plus ne revint pas. Il était porté disparu depuis la bataille de Crimée en 1944. Son dernier signe de vie avait été une lettre adressée à son amie.

Le contact avec la famille Baruch fut également très éprouvant. Les frères, Julius et Hermann l’avaient beaucoup soutenu à la fin de la république de Weimar, dans sa lutte contre les nazis. Et Julius lui avait sauvé la vie en rendant possible sa fuite dans la région de la Sarre en mars 1933. 
De la famille Baruch il ne restait plus que Klara, la femme de Julius, une aryenne selon le jargon des nazis, vivant à Bad Kreuznach. Ce fut un choc pour Hugo Salzmann.
Après la prise de pouvoir par les nazis, et suite à leur antisémitisme virulent et méprisant, les Baruch avaient souffert du boycott contre les juifs et vu leurs commerces baisser.
Cet antisémitisme devint même un danger pour leur vie dans la nuit de la Saint Jean en 1937- Cette nuit là, les nazis effectuèrent une marche avec des flambeaux dans le centre ville de Kreuznach. Peu avant minuit, une trentaine de SA avec parmi eux le fameux commandant Kappel, se rassemblèrent devant la maison des Baruch. Quelques uns escaladèrent le portail et pénétrèrent dans la propriété ; d’autres démolirent la porte d’entrée.

Karl Salzmann en soldat avec d’autres camarades 1943/44 (Source : privée)

Ils pénétrèrent dans l’appartement des Baruch. Alors que leur mère Karoline, âgée de 76 ans, ses filles et belles filles dormaient déjà, Julius et Hermann jouaient aux cartes avec des amis. Les deux frères furent « arrêtés » par les SA, roués de coups dans la rue puis traînés à la mairie. Une demi-heure après, la police les ramenait chez eux. Ils racontèrent plus tard, que des policiers avaient reconnu les célèbres sportifs et les avaient libérés. Les SA les auraient sinon sans doute battus à mort.

Hermann Baruch put s’enfuir en Belgique à Anvers dans le courant de l‘été de 1938. Julius et le restant de la famille durent subir le pogrom de la nuit du 9 au 10 novembre 1938, la nuit de pogrom du Reich, que les nazis nommèrent la nuit de cristal du Reich. A l’origine de ce pogrom fut l’attentat commis par Herschel Grünspahn, jeune juif de 17 ans, sur un membre de l’ambassade d’Allemagne à Paris, du nom de Rath. Lorsque ce dernier succomba à ses blessures, les nazis organisèrent une vague de violence contre les juifs dans tout le Reich allemand. De nombreuses synagogues furent détruites, la plupart incendiées, on brisa les vitrines des magasins et les fenêtres de maisons juives, on saccagea des appartements, démolit des meubles et environ 30.000 hommes, juifs, furent envoyés dans des camps de concentration.La déportation des juifs en Allemagne commença pendant la deuxième guerre mondiale. « Ils partaient vers l’est » disait-on. La mère des frères Baruch, âgée de 80 ans, fut la première de la famille à subir ce sort. Le 27 juillet 1942, elle fut déportée de Bad Kreuznach au camp de concentration de Theresienstadt, aujourd’hui en république Tchèque, où elle mourut le 12 octobre 1943. Dans le même temps, son fils Hermann était assassiné dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Il avait été arrêté par la gestapo après l’occupation de la Belgique et envoyé en 1942 au camp de Gurs dans le sud de la France, d’où il fut déporté pour Auschwitz-Birkenau pour être « exterminé » par le gaz. Il en fut de même pour leur sœur Emma, qui vivait à Francfort sur le Main depuis son mariage avec un chrétien. Elle fut déportée elle aussi à Auschwitz-Birkenau, où elle mourut le 30 août 1943.

Hermann Baruch, médaillé, champion de lute et d’haltérophilie. 
Champion d’Europe d’haltérophile en 1924. 
(Source : base olympique de Bad Kreuznach)

 Julius et Hermann Baruch de Kreuznach. Athlètes d’exception. Lors d’un concours de lutte par équipes en 1923.
 (Source : base olympique de Bad Kreuznach)

Julius était le dernier vivant de la famille Baruch à Bad Kreuznach. Il était lui aussi menacé de déportation, mais il n’avait pas encore été « envoyé  à l’est ». Du fait de son mariage « mixte »  avec une « Aryenne », il bénéficiait d’une certaine protection. Pourtant lui aussi fut victime des nazis. Non pas à cause de ses origines juives, mais pour raisons politiques, et pour son attitude anti gouvernementale.

Le 16 février 1945, la gestapo locale l’envoya au camp de concentration de Buchenwald, près de Weimar. Et cet athlète exceptionnel et surentrainé, champion d’Europe mi-lourd d’haltérophilie, et médaille d’argent en lutte, mourut dans des circonstances obscures. Le fait est, qu’il ne survécut pas la libération.Typique pour Hugo Salzmann, est  qu’il ne resta pas figé en apprenant ces grandes souffrances. Il compatissait, mais cela le poussait aussi à mettre toute sa force pour soutenir ceux qui souffraient et  leurs familles. Tout de suite il organisa une collecte pour les « victimes du fascisme ». Très vite il réunit la somme de 65.000 Reichsmarks. A titre indicatif il est à noter que le salaire mensuel d’un ouvrier variait de 150 à 200 Reichsmarks. Ce qui permit d’acheter des vivres, des vêtements, et des chaussures pour les survivants de la terreur nazie. C’était une aide considérable pour les victimes des nazis et leurs familles dans ces temps difficiles, immédiatement après la guerre et la libération.

C’était la première action d’Hugo Salzmann pour les victimes du fascisme. Il venait de commencer une œuvre qu’il ne cesserait de poursuivre tout au long de sa vie future, sous différentes formes peut-être, mais toujours avec la même ardeur, avec l’engagement de sa personne toute entière. Il est clair, que, à la fin de la dictature et de la terreur hitlérienne,  pour Hugo Salzmann une importante mission se présentait, dans la reconstruction de son environnement politique et social. Déjà sous la république de Weimar, il s’était engagé corps et âme dans le syndicalisme et dans la politique communale. Il n’avait rien perdu de cette passion pendant toutes ces années de dictature nazie, d’émigration et de poursuite. Au contraire elle n’avait fait que croître. Il avait maintenant l’opportunité d’atteindre plus encore que sous la république de Weimar, étant donné la situation de renouveau, de reconstruction totale après la guerre. De plus, les années passées l’avaient rendu plus mûr, plus réfléchi et plus communicatif.

La nouvelle conception politique de l’Allemagne, d’après la conférence de Postdam des « trois Grands » du 17 juillet au 2 août 1945, à laquelle la France n’avait pas été invitée à participer, devait se faire selon le principe des quatre « D » : Démilitarisation, Décartellisation, Dénazification et Démocratisation. La vie politique devrait se reconstruire sur une base démocratique. En commençant sur le plan local, dans les communes, les villes, les circonscriptions. Les Allemands devraient réapprendre les bases de la démocratie à l’échelle des communes et des circonscriptions. Pour ce faire, les Américains, qui occupaient la région actuelle de la Rhénanie Palatinat, et donc Bad Kreuznach et ses environs, mirent en fonction des maires et des conseillers non coupables.

Le 10 juillet 1945, la région fut occupée par les Français, à la place des Américains. C’est ainsi que se formèrent les quatre zones d’occupation. A l’ouest, les zones d’occupation britannique, américaine et française, à l’est, la zone d’occupation soviétique. 

Par la déclaration de Berlin, du 5 juin 1945, les puissances victorieuses avaient décidé officiellement, que le pouvoir exécutif en Allemagne reviendrait aux commandants en chef des quatre puissances alliées, qui exerceraient le pouvoir en commun pour tout ce qui concernait le gouvernement allemand, la direction de la Wehrmacht, l’administration des Lands, des villes et des communes. Ces commandants en chef n’auraient de comptes à rendre qu’au gouvernement de leur pays respectif. Ils formaient cependant un conseil commun, le conseil allié de supervision,  avec Berlin pour siège, et qui ne pouvait prendre de décisions qu’à l’unanimité.

L’Allemagne après la deuxième guerre mondiale. En partant des frontières du Reich de 1937 (entourage vert), on reconnait les quatre zones d’occupation,
et par ailleurs, le statut spécial de Berlin, de la région de la Sarre, des territoires polonais, et des territoires allemands à l’est, occupés par l’union soviétique.
Situation au 1er septembre 1945.

L’ex-capitale du Reich, Berlin, fut divisée en quatre secteurs : américain, britannique, français et soviétique. Les quatre secteurs étaient d’abord sous administration du haut-commandement des alliés, qui lui, dépendait directement  du conseil des alliés. De plus, les territoires au-delà de la ligne Oder-Neiße furent placés sous administration polonaise respectivement soviétique. La région de la Sarre obtint une administration indépendante, sous protectorat français, et rattachée économiquement à la France.

Carte de Berlin montrant les quatre secteurs. 1er septembre 1945 

Les Français ne s’étaient joints que tardivement aux « trois grands »  Aussi la zone d’occupation française présentait quelques particularités. Avec ses 5,9 millions d’habitants, elle était de loin la plus petite des quatre zones d’occupation. Elle était principalement formée d’une partie au nord, à gauche du Rhin, et d’une partie au sud, à droite du Rhin, ce qui donnait à la zone d’occupation française, la forme de deux triangles se touchant par la pointe. La partie nord devait plus tard constituer la Rhénanie-Palatinat.

La politique française d’occupation de l’Allemagne était principalement marquée par un besoin de sécurité vis-à-vis de ce voisin à l’est, et par la question des réparations. En résumé : «  Argent et sécurité ».

En raison de cette exploitation exagérée, on ne tarda pas à qualifier cette zone, de « zone de la faim ». Contrairement aux autres puissances, en particulier aux Américains, les Français se montraient très réticents à accorder aux Allemands vaincus, un droit de participation sur le plan local, à accepter des structures démocratiques permettant justement d’exercer la démocratie.

Par exemple, il fallut attendre la fin de 1945 pour que Fabia, le commandant de Bad Kreuznach accepte la création d’un « conseil de citoyens », comité auquel appartenait Salzmann en tant que représentant du parti communiste, et qui avait pour fonction de conseiller le maire.
Il va de soi qu’Hugo Salzmann, en tant qu’ancien syndicaliste de Bad Kreuznach, était un des premiers à reconstruire les syndicats à Bad Kreuznach et dans les environs. Les occupants français voyaient tout de même les représentants des ouvriers d’un œil favorable, en raison de la situation politique intérieure en France. 

Carte de la zone d’occupation française avec le siège du gouverneur militaire, le général Pierre Koenig à Baden-Baden.

Après la libération de la France du fascisme hitlérien, le général de Gaulle et les résistants constituèrent un gouvernement d’unanimité. Les collaborateurs du gouvernement de Vichy furent jugés et condamnés, et les élections de l’assemblée nationale menèrent à un gouvernement de front populaire, dont les communistes formaient la fraction la plus importante.

C’est pour cette raison que les Français poussèrent à la formation de syndicats locaux surtout à Coblence et à Trèves. Partout et donc aussi à Bad Kreuznach, se formèrent des syndicats unifiés, donc comme ceux que nous connaissons actuellement. Ils sont ouverts à tous les ouvriers, sans prise en considération de leurs opinions politiques ou de leur idéologie. C’était nouveau en Allemagne. C’était la réaction par rapport à l’expérience de la république de Weimar, et de  la prise de pouvoir par Hitler. A l’époque, les syndicats étaient liés à une idéologie ou à un parti politique (communiste, socialiste, chrétien ou libéral). Ils étaient donc fragmentés et incapables de s’unir pour s’opposer efficacement à Hitler et ses nazis.

Avec le décret no 6 du 10 septembre 1945, et les conditions d’exécutions publiées en même temps, le gouvernement militaire français autorisa la refondation des syndicats. 

Ceux-ci devraient être autorisés auparavant par le gouvernement français, et répondre à certains critères, par exemple ils devaient être intérieurement compatible avec la démocratie. Les syndicats ne furent autorisés qu’à l’échelle locale et ne devaient représenter que les intérêts professionnels de leurs membres. Les Français laissèrent sans réponse, la question de savoir, si des syndicats unifiés ou représentant de diverses opinions seraient autorisés. Cependant on conseillait de privilégier les demandes de formations de syndicats unifiés.

On ne sait pas quelle fut l’activité syndicale exacte d’Hugo Salzmann. Elle était sans doute l’unique occasion pour lui, de se faire connaitre à Bad Kreuznach et dans les environs. Les partis politiques n’étaient pas encore autorisés, et le « conseil des citoyens » n’entra dans ses fonctions que fin 1945. C’est donc par son activité syndicale, que Salzmann se fit des relations et entrepris quelques petits voyages. 

Carte d’identité d’Hugo Salzmann, émise le 22 août 1945 (Source : privée)

Pour Hugo Salzmann, il importait qu’il soit reconnu comme victime du régime nazi. A cet effet, il obtint une carte d’identité du bureau d’aide sociale sur laquelle on pouvait lire :

Certificat pour Hugo Salzmann

Le titulaire de ce document appartient au cercle des personnes persécutées et radicalement poursuivies ces dernières années par le régime nazi. Prière de lui octroyer aide et protection sous toutes formes possibles.

Carte d’identité du bureau d’aide sociale de Coblence, du 25 février 1946. Recto et verso. (Source : privée)

 

Peu à peu, le gouvernement militaire français autorisa des structures démocratiques plus importantes. A la conférence de Postdam en août 1945, à laquelle la France n’avait pas participé, les alliés avaient décidé d’autoriser ou plus précisément de ré autoriser les partis politiques. La France fut la dernière des forces alliées, à se joindre à cet accord par le décret no23 du 13 décembre 1945.

Il fallut attendre encore un mois avant la parution des conditions d’exécution. Ensuite, il fallait demander officiellement une autorisation au gouverneur militaire. Les partis furent donc fondés dans les premiers mois de 1946, dans les frontières actuelles de la Rhénanie-Palatinat, et autorisés par les Français.

La fondation du parti communiste – sans le D des lettres KPD (parti communiste allemand) puisque l’Allemagne n’existait plus dans son ensemble – se révéla relativement simple. L’appareil du parti avait été anéanti dès 1933 par les nazis, et leur poursuite des communistes après l’incendie du Reichstag, mais la reconstruction était tout  à fait faisable. D’autant plus que le nouveau PC jouissait de la bienveillance des Français et de leur gouvernement de front populaire.

lettre du gouvernement militaire de Bad Kreuznach du 9 mars 1946,
adressée à Hugo Salzmann, autorisant une réunion du PC dans la salle communale de Bad Kreuznach
(Source : privée)

Peu après, l’occupation française permettait aux syndicats d’autres structures plus vastes. Par le décret no 54 du 12 avril 1946, elle autorisait non seulement les unions locales, mais également des associations régionales, ainsi que des unions régionales d’associations.

Tout comme dans les autres zones de l’ouest, les syndicats prirent également l’initiative et ne tardèrent pas à faire partie des organisations les plus importantes de la société. Ils avaient une part décisive dans la reconstruction de l’après guerre immédiat.

Pour cette reconstruction, il fallait du personnel. Hugo Salzmann fut donc un des hommes de la « première heure ». La même année, il devint secrétaire du syndicat (secrétaire pour la protection juridique) et fut employé dans le comité du district de Bad Kreuznach.

Afin de se préparer à sa nouvelle fonction professionnelle au sein du syndicat, il suivit des cours de formation en droit social et  du travail, au centre de l’union des syndicats allemands à Mayence.

Carte de membre du syndicat unique d’Hugo Salzmann pour le secteur économique de 
Bad Kreuznach (Source : privée)

Hugo Salzmann ne tarda pas à passer son permis de conduire afin d’être suffisamment mobile dans l’exercice de ses fonctions comme secrétaire pour la protection juridique et dans son travail politique et syndical. Il lui fut délivré par l’administration du conseil du Land (administration du district) en 1947, encore rédigé dans les deux langues (allemand et français)

Permis de conduire d’Hugo Salzmann datant de 1947, rédigé en allemand et en français (Source : privée)

A la surprise de tous, la puissance d’occupation française, décida le fusionnement de la partie nord de sa zone, à gauche du Rhin – province Rhénanie Hesse Nassau au nord, Hesse-Palatinat au sud, en pays « Rhénan-Palatin » avec Mayence comme capitale. Cette décision prise par le général Koenig par le décret no 57 du 30 août 1946, donna naissance à la Rhénanie-Palatinat que nous connaissons aujourd’hui.

Celle-ci tombait en plein dans les préparations des premières élections libres de l’après guerre. En autorisant les partis, les syndicats, mais aussi la presse, les Français avaient créé d’excellentes conditions pour le déroulement des élections. Tout en suivant le principe de la construction d’une démocratie en partant de la base, on put commencer les élections des conseils de la ville et des communes, autant que des assemblées du district.

Il y eut d’abord des élections communales. Les Français en fixèrent la date au 15 septembre 1946. Hugo Salzmann était en tête de liste du parti communiste et fut élu au conseil municipal.

Les élections du district eurent lieu le mois suivant, le 13 octobre 1946.Il s’y présenta pour le PC et fut élu également dans le district de Bad Kreuznach. 

Les deux élections furent un succès – et pas seulement à Bad Kreuznach – en raison de la participation électorale élevée. Ce n’était pas encore un succès pour la démocratie, mais elle était en bonne voie. En effet, les alliés et les partis politiques s’étaient fait du souci quant au comportement des électeurs. Leur inquiétude ne venait pas tant du fait qu’ils s’attendaient à des résultats trop à droite – ils avaient fait en sorte que les partis de droite ne soient pas autorisés- mais ils redoutaient que les gens, après la catastrophe national-socialiste se désintéressent complètement de la politique et n’aillent plus voter. Ce souci s’avéra sans fondement. Malgré une certaine acrimonie, existante, celle-ci ne se refléta pas dans le comportement électoral. A priori l’opportunisme de nombreux sympathisants du « troisième Reich » se manifestait une fois de plus. On obéissait aux nouveaux dirigeants, et on allait aux urnes. 

Les nouveaux conseillers municipaux avaient beaucoup à faire. Tout d’abord, ils devaient mettre au point un règlement intérieur, et, en collaboration avec l’administration et le maire, tenter de venir à bout de la situation toujours difficile de la population de la ville. Le temps pressait. L’hiver 46/47arrivait à grands pas. Un hiver encore plus rude que les années précédentes. Trois mois de gel à -20 degrés, rendant l’approvisionnement de la population, en ce deuxième hiver de l’après guerre, encore plus difficile et encore plus succincte. De nouveau la faim  fut la préoccupation principale.

Entre temps, le Land de la Rhénanie-Palatinat se formait – qu’on qualifiait d’ « Issu d’une cornue ». Les différentes parties : la « Prusse Rhénane », la Hesse Rhénane, le Palatinat Rhénan et les circonscriptions de Nassau ne disposaient d’aucune tradition commune.

Le vainqueur incontesté des élections au 1er Landtag fut l’Union des Chrétiens Démocrate (CDU), qui présenta Peter Altmeier. Ce dernier devait rester au gouvernement pendant des années encore, comme 1er ministre.Le PC avait obtenu 8, 7% des voix lors des élections du Landtag, et 8 mandats.

Carte du nouveau Land : Rheinland-Pfalz (Rhénanie-Palatinat) en 1949

Hugo Salzmann poursuivit son activité syndicale et politique à l’échelle locale et régionale. En plus de son activité professionnelle principale de secrétaire syndical – il conseillait les syndiqués dans le règlement de leurs questions légales, les représentait devant les tribunaux-. Il avait beaucoup à faire. Au conseil municipal de Bad Kreuznach, il était président de la fraction du PC. Président également de la fraction parlementaire du district, ainsi que vice-président du comité local de l’organisation syndicale de Bad Kreuznach. Et finalement était aussi le président de l’association des personnes poursuivies sous le régime nazi (VVN) à Bad Kreuznach. Association qu’il avait fondée.

Il détenait donc, en plus de son activité professionnelle principale au sein du syndicat, une position de responsable dans pratiquement toutes les organisations politiques et de la société, dans lesquelles il mettait toute son énergie et investissait tout son savoir.

 

Hugo Salzmann en tant que secrétaire syndical. Dans son bureau, vers 1948 (Source : privée)

Les nombreuses années passées en exil, son internement dans les prisons françaises, au camp de concentration du Vernet, son incarcération en Allemagne, à la prison de Butzbach en dernier lieu, toutes les souffrances endurées par la famille, le destin de sa femme, de son fils ; Hugo Salzmann avait tout « refoulé ». Il se tournait vers l’avenir, cessait de faire le deuil. Il avait vite passé sur son traumatisme présumé, pris ses responsabilités et s’était jeté sur la tâche qui se trouvait devant lui. Il n’y avait rien d’autre à faire, et, dans sa situation, c’était le seul remède. Cela lui permit de reprendre une vie à peu près normale.

Son fils « petit Hugo » comme ses parents aimaient l’appeler, faisait partie de cette normalité. Hugo Salzmann désirait ardemment le revoir, comme l’indique la dédicace sur la photo datant de l’été 1946, destinée à son fils.

Dédicace D’Hugo Salzmann à son fils (août 1946) 

13 Août 1946. A mon fils unique, resté fidèle dans sa vie bien éprouvée, à sa mère et à son père, avec mon amour le plus profond. 
Ton père et compagnon de vie, qui t’aime par-dessus tout.

Mais il était bien difficile de faire venir son fils depuis l’Autriche à Bad Kreuznach. 
Hugo Salzmann obtint pourtant un passeport.

Passeport du Reich allemand (dépourvu de Croix gammée) pour Hugo Salzmann, du 2 novembre 1946, recto-verso. (Source : privée)

Malgré l’obtention de ce passeport, Hugo Salzmann ne réussit pas d’emblée à faire venir son fils à Bad Kreuznach. Entre temps, Hugo Salzmann avait fait la connaissance de Maria Schneider, qui travaillait dans l’administration militaire française, en tant que traductrice et interprète.

C’est sans aucun doute grâce à Maria qu’Hugo Salzmann retrouva la vie « normale » qui lui avait si longtemps manqué.

Hugo Salzmann et Maria se marièrent en septembre 1947. Le 2 janvier 1948 naissait leur fille. Ils l’appelèrent Julianna du nom de la femme d’Hugo Salzmann morte en camp de concentration. Julianna devait être, comme elle le dit elle-même, le souvenir personnifié de Julianna. C’était le vœu de sa mère, non celui de son père. Hugo Salzmann racontait souvent avec émotion l’anecdote suivante.

Alors qu’elle se trouvait enceinte, sa mère avait souvent dit au père. « Si c’est une fille, je voudrais qu’elle porte le nom de Juliana, en souvenir d’elle. » Ce fut une fille, et elle porta le nom de Julianna.


Maria Schneider (épouse Salzmann) en 1945. (Source : privée)


Hugo et Maria Salzmann en 1947 (Source : privée)


Photo de Hugo Salzmann avec sa fille Julianna en 1954
(Source : privée)

Il fallut attendre septembre 1948 pour qu’une amie de la famille, des années parisiennes, réussissent à faire venir illégalement le fils Hugo, d’Autriche à Bad Kreuznach. Entretemps, la situation économique de l’Allemagne d’après guerre, grâce au plan Marshall et surtout à la réforme monétaire, s’était nettement améliorée.

On avait également commencé la dénazification du pays. C’était l’un des quatre principes décidés par les « trois grands » lors de la conférence de Postdam (17 juillet 1945 au 2 août 1945), ce qui avait tout lieu d’être. Environ 8,5 millions d’Allemands avaient été membres du NSDAP. Près de 250.000 femmes et hommes, selon les estimations, avaient participé, sous le régime nazi, au génocide des juifs d’Europe, à l’holocauste, à la Shoah, en tant que planificateurs, exécuteurs ou subalternes. Des centaines de milliers d’autres avait tué de leur propre chef ; pour le régime, avait fusillé des enfants, des vieillards sans défense, anéanti des villages entiers. C’était toute une horde de criminels, dont on pouvait supposer que la plupart avaient survécu à la guerre. Les coupables devraient être jugés. Il y avait de plus encore beaucoup à faire pour effacer toutes traces des nazis. 

De nouveau Hugo Salzmann dut se plier à la « dénazification ». Lui, le résistant féru, opposant au régime nazi. Pour ce faire, on lui avait souvent demandé de remplir le questionnaire volumineux de quatre pages.

Questionnaire de dénazification de quatre pages, rempli par Hugo Salzmann le 4 mars 1947.

De même que pour pouvoir être considéré comme « victime du fascisme », il avait du remplir un questionnaire tout aussi volumineux. Le 31 mai 1948, lui fut délivrée une carte de « victime du fascisme ».

Carte de victime du fascisme d’Hugo Salzmann (Source : privée)

Ce fut pour lui encore une satisfaction ultérieure, lorsque le tribunal du Land de Koblenz, par arrêt du 29 avril 1949, cassa, à sa demande et à celle du ministère public, le jugement du 4 mars 1943 porté contre lui, ainsi que toutes les peines qui en dépendaient et qui s’en suivirent. Hugo Salzmann n’avait donc plus d’antécédents judiciaires.

Arrêt du tribunal du Land de Koblenz, du 29 avril 1949, cassant le jugement du tribunal du peuple contre Hugo Salzmann
 (Source : privée)

En 1949, les premiers succès de la politique économique se faisaient déjà sentir. Les achats et les ventes reprenaient. On donna au temps une nouvelle mesure : avant et après la réforme monétaire du Mark allemand. C’était comme si on avait tourné un bouton. Les Allemands se réfugièrent dans le travail et la consommation, refoulant le souvenir « brun » du passé nazi.

Les premiers succès économiques poussèrent les Allemands à accepter plus facilement la démocratie parlementaire. L’aiguillage en avait été posé par les Américains dans les « documents de Francfort ». En août 1948 il s’en suivit des concertations d’experts pour l’élaboration d’une ébauche de constitution, qui servirait de base aux discussions du conseil parlementaire le 1er septembre 1948 à Bonn. Le 8 mai 1949, jour du quatrième anniversaire de la capitulation, le conseil parlementaire ratifia la « loi fondamentale » de la république fédérale d’Allemagne. Tous les députés, à l’exception de 12 membres (entre autre les représentants du PC) votèrent pour. Les communistes votèrent contre, car ils étaient fondamentalement contre la création de la république fédérale d’Allemagne.

Après son autorisation par les gouverneurs militaires et sa ratification par les conseils des Länder, la loi fondamentale fut proclamée solennellement lors d’une séance de clôture du conseil parlementaire.

Peu après commença la campagne électorale pour les élections du Bundestag. Le combat fut rude et polarisé. Konrad Adenauer, chef de la CDU, ne donnait aux électeurs que le choix entre : « christianisme » et « socialisme ».Il désignait volontiers les socio-démocrates comme les « frères païens » des communistes. Les élections du 14 août 1949 furent gagnées de justesse par la CDU/CSU, qui obtint 139 sièges sur 402. Le SPD en obtint 131. Les autres partis beaucoup moins. Le PC (KPD) n’obtint que 15 sièges (=5,7%). Quatre semaines plus tard, la première assemblée fédérale vota Theodor Heuss (FDP) comme 1er président de la république fédérale d’Allemagne. Konrad Adenauer – CDU – devint le 1er chancelier. Une semaine plus tard, entra en vigueur le statut d’occupation qui accordait une certaine autonomie à la république fédérale d’Allemagne. La république démocratique allemande fut fondée deux semaines plus tard.