Chapitre 3: Activité politique  à Kreuznach.

À Pâques 1917 – la guerre battait encore son plein - Hugo Salzmann termina ses huit années de scolarité obligatoires à l’école élémentaire. Malgré les conditions difficiles dues à  la troisième année de guerre, il trouva une place d’appren- tissage. Il ne devint pas souffleur de verre comme son père et son grand-père mais apprenti dans la métallurgie. La même année, il s’engagea dans un syndicat de l’association ouvrière métallurgique allemande. Dès  1920, il devient responsable des jeunes de l’association  de  Kreuznach. Après son apprentissage, Salzmann continua à travailler pour l’entreprise en tant que compagnon.    

En 1921, Hugo adhéra à l’Association communiste des jeunes de Kreuznach, fraîchement créée. Le mouvement communiste de la jeunesse n’en était qu’à ses débuts à l’époque. Les communistes allemands – tout comme cette association pour la jeunesse – avaient vu le jour pendant la  première guerre mondiale, et peu après, à la suite de confrontations au sujet de la trêve politique proposée par la majorité du SPD (Empereur Wilhelm II: „Je ne connais aucun parti, je ne connais que des Allemands »), et à partir des objectifs du parti ouvrier.

En août 1914, au sein du SPD, se créa un groupe oppositionnel « international »,  qui restait fidèle à l’objectif d’une révolution internationale du prolétariat pour renverser le capitalisme, l’impérialisme et le militarisme dans le monde. Lorsqu’en 1917, des  sociaux-démocrates indépendants se  détachèrent du SPD pour former le parti social-démocrate indépendant allemand (USPD) ;  ce groupe forma  en tant qu’ «union spartakiste » l’aile gauche du nouveau parti. Durant la révolution de novembre– le 9 novembre 1918 – l’union spartakiste se forma à nouveau et finit par s’intégrer au nouveau parti communiste allemand (KPD) durant le passage de l’année 1918 à 1919. Les dirigeants,  Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht,  furent assassinés deux semaines plus tard de façon cruelle par des officiers d’extrême-droite appartenant à un corps franc.  

Les associations pour la jeunesse  avaient d’abord formé  la « Jeunesse socialiste libre » en octobre 1918. Elles furent rebaptisées « Jeunesse communiste allemande » en 1920, puis « Association pour la jeunesse communiste d’Allemagne » en 1925 (KJVD).  

Ce développement du mouvement ouvrier depuis la dite Révolution de novembre (du 9 novembre 1918) se manifesta même à Kreuznach.  C’est ainsi que début octobre 1920 fut créée l’union locale du KPD. De plus, un groupe de jeunes communistes se forma. Hugo Salzmann en devint vite le leader. 

Groupe de la jeunesse communiste avec Hugo Salzmann lors d’une randonnée dans la nature, vers 1920 (source : privée)

Les jeunes ouvriers devaient autrefois travailler dur et longtemps et ils avaient peu de vacances. Ainsi, on occupait les  week-ends et les jours fériés à faire des excursions, des randonnées avec nuitées dans des tentes et à chanter des chansons populaires. L’expression de ce sentiment se retrouve dans la chanson: „Wann wir schreiten Seit an Seit“ („lorsque nous marchons côte à côte“). Elle rend compte du caractère des randonnées et les place dans le contexte plus vaste du développement social.

Chant: „Wann wir schreiten Seit an Seit“ („lorsque nous marchons côte à côte“).

 

Caractéristique de l’engagement  politique et social d’Hugo Salzmann, fut qu’il se fit remarquer pour la première fois en public ; en revendiquant de mettre fin à la dégradation de la qualité du pain, que les ouvriers devraient  enfin pouvoir obtenir un pain mangeable. 

Lors d’une grève „sauvage“ en 1921 dans une autre entreprise de Kreuznach, il se solidarisa avec les grévistes  et se mit également en grève. À la suite de quoi, les industriels lock-outèrent  les ouvriers en grève. Hugo Salzmann se trouvait parmi eux. Bientôt les ouvriers abandonnèrent et les industriels  proposèrent de les réembaucher. Après cette grève sans succès, reprendre le travail semblait trop dur à  Salzmann. Il rejeta la proposition et partit „faire un tour“. 

Hugo Salzmann, vers 1920 (source : privée)

Fin 1922 – suffisamment longtemps après les épisodes précédents – il retourna à Kreuznach et travailla dans une autre entreprise.  
L’année suivante, 1923, fut une année fatidique pour la première démocratie sur le sol allemand. Elle commença  en Janvier avec l’invasion de  troupes françaises – et belges – dans le bassin de la Ruhr. La raison en  était que l’Allemagne n’avait pas entièrement payé les réparations obligatoires,  stipulées par le traité de Versailles et que la France y voyait un manquement délibéré. Par la suite, le gouvernement du Reich cessa toute prestation de réparations à la France et à la Belgique et appela la population du Rhin et de la Ruhr à une résistance passive. 
Entretemps, la dépréciation monétaire grandissait, en raison du gonflement de la masse monétaire,  employée principalement pour  payer les coûts de la 1ère Guerre Mondiale et les réparations et avait atteint des dimensions énormes. Si pendant  la phase d’hyperinflation à partir de juillet 1922, le cours du Reichsmark était monté à plus de 1500%  par rapport au Dollar, au début de la résistance passive, il perdit toute référence.  À l’apogée de l’hyperinflation, beaucoup d’entreprises payaient leurs employés  le matin et leur donnaient l’opportunité de convertir  leur paie en nourriture ou en biens échangeables. Les conséquences marquant cette période furent des émeutes de la faim et des pillages d‘épiceries. 
En même temps, le séparatisme se manifesta en Rhénanie et dans le Palatinat. Il avait atteint son apogée lors de la proclamation d’une „république rhénane“ indépendante du Reich, entre autre le 25 octobre 1923 au château de Coblence et le 26 octobre 1923 dans la région de Kreuznach.

Les séparatistes devant le château de Coblence. 
Au milieu, leur chef Josef Friedrich Matthes
 

1 Ministerpräsident Josef Matthes, Würzburg

2 Finanzminister dr. Wolterhof

3 Kultusminister Dr. Kremers, Pfarrer a.D.

4 Regierungspräsident Theodor Oehmen,
Weinkaufmann aus Koblenz

5 Hansen, Bürgermeister aus Prüm

6 Koch-Pfeiffer, aus Gemünd/Eifel

7 Brock, aus Köln

 

Dans d’autres endroits d’Allemagne il y eut aussi un „automne chaud“. En Saxe comme en Thuringe, il se forma  un gouvernement de front populaire avec un ministre-président social-démocrate et deux ministres communistes.  Les communistes avaient également prévu une „révolution d’octobre allemande“. Ils renoncèrent néanmoins à un putsch de la gauche lorsqu’ils se rendirent compte  qu’une action isolée comme celle-ci pouvait échouer. Cette tentative de putsch de la gauche fût étouffée, dès le départ, par l’armée du Reich. Les gouvernements majoritaires formés par le SPD et le KPD légitimés parlementairement en Saxe et en Thuringe furent écartés du pouvoir par un „décret du Reich“.

Pendant que le Reich destituait les gouvernements régionaux de Thuringe et de Saxe, élus démocratiquement,  il ne chercha pas à intervenir en Bavière. Là-bas, le gouvernement  avait nommé un certain Ritter Von Kahr au poste de „Commissaire général spécial“ et lui avait remis le pouvoir exécutif.  Muni par procuration des pouvoirs complets, il forma avec le général de l’armée du Reich et le chef de la police, une alliance à trois, dans le but de former une dictature nationale. Il prit pour modèle la „Marche sur Rome“ effectuée par les fascistes italiens un an auparavant, couronnée de succès. Dans ce contexte, Hitler décida de saisir cette opportunité et de tenter un putsch d’extrême droite. Il proclama la « révolution nationale », démit le gouvernement du Reich et le gouvernement bavarois de leurs fonctions et annonça la formation d’un „gouvernement national“. Le 9 novembre 1923, vers midi, Hitler  et l’ex-général Ludendorff (le „bras droit“ du chef des forces armées Von Hindenburg durant la première guerre mondiale) conduisirent la « marche sur la salle des généraux » à Munich. Ce putsch d’extrême droite échoua lamentablement.

Au cours de  cette année fatidique de 1923, Hugo Salzmann devint président du comité de son entreprise. Par ailleurs il redevint leader de l’association de la jeunesse communiste à Kreuznach et devint aussi – sans pour autant passer sous le feu des projecteurs – président de l’Aide Rouge, une association proche du KPD, qui soutenait les membres du KPD arrêtés,  les sans-parti, ainsi que leurs proches.

Hugo Salzmann avec son groupe de la jeunesse communiste, vers 1923 (source : privée)

Une des conséquences des troubles de l’automne en Thuringe et en Saxe fut entre autre une interdiction dans tout le Reich, du KPD et des associations pour la jeunesse communiste du 20 novembre 1923. Cette interdiction qui dura  jusqu’au 1er mars 1924,  affaiblit naturellement les communistes,  déjà handicapés dans leur travail par l’expulsion de la zone d’occupation française de plusieurs de leurs fonctionnaires.
 
Ce développement politique et la stabilisation économique à partir de 1924 amenèrent le communisme allemand à terminer sa phase révolutionnaire. Les communistes se tournèrent progressivement vers les questions locales, pour y prendre part, et y étendre leur influence. C’est aussi ce qui se passa à Kreuznach.

Non seulement les jeunes, mais aussi l’ensemble de la population ouvrière se donnaient du mal pour former une culture ouvrière autonome.
Les unions locales de l’association internationale des victimes de guerre (IB), l’Aide Rouge (RH), l’Aide ouvrière internationale, la Communauté d’intérêt pour la culture ouvrière (IfA), la Communauté des prolétaires libres penseurs, l’Association sportive de foot „Linda 28“, la Jeunesse communiste (KJ), le Comité des femmes ouvrières, le Front rouge des combattants (RFB), l’Association musicale des ouvriers, l’Association antifasciste et bien d’autres étaient plus ou moins actifs à Bad Kreuznach.

La chorale ouvrière avec Hugo Salzmann, vers 1925 (source : privée)

Les ouvriers passaient  leur temps-libre dans ces associations, lesquelles s’occupaient aussi des familles, des femmes et des enfants. Pour beaucoup, c’était une occasion souvent conviviale mais c’était aussi l’occasion d’approfondir leur conscience  politique et d’avoir le sentiment de promouvoir une culture de  communauté pour l’avenir. Parfois, il s’agissait de parvenir à ses fins. Une des devises était par exemple : Le sport du prolétariat doit être mis au service du socialisme. Par ailleurs,  il ne faut pas surestimer les listes des membres de ces associations. Il y avait  beaucoup d’adhésions doubles ou même multiples, de sorte que le degré de mobilisation des associations était bien inférieur à ce qu’on pouvait imaginer.

À l’âge de 22 ans, l’appartenance de Salzmann à la Jeunesse communiste arriva à expiration. Il rejoignit sans détour en 1925 le KPD, et devint vice-président de l’union locale  de Bad Kreuznach la même année. L’union locale suivait la  ligne politique et idéologique du KPD, et propageait les mêmes thèmes : Rejet de la république démocratique et parlementaire  – le SPD est présenté comme traître de la classe ouvrière – le SPD, et en particulier ses dirigeants, sont les pires ennemis de la classe ouvrière –. Le KPD de la Russie soviétique est  le modèle à suivre et on incite à créer une „Allemagne soviétique“ à partir d’une révolte armée.

On peut se demander comment un jeune ouvrier venant de la petite ville de Bad Kreuznach pouvait en venir à de tels jugements, autant  drastiques que radicaux. Car tout de même: fin 1924, le Mark s’était stabilisé depuis longtemps grâce au „miracle du Mark des retraites“ et les Alliés en accord avec l‘Allemagne avaient, à l’aide du plan Dawes et des accords de Londres,  réajusté la question des réparations à un niveau supportable, il y avait eu depuis la fin de l’été une conjoncture favorable et le pourcentage de personnes sans emploi était descendu de 12,4% en juillet à 7,3% en novembre1924. Lors des élections du Reichstag début décembre 1924, l’extrême droite et l’extrême gauche perdirent un grand nombre de voix. Le SPD et les partis du centre ainsi que le parti populaire national d’Allemagne (DVNP) en avaient gagnées  – même si cela ne suffisait pas pour  une majorité parlementaire ni pour une politique gouvernementale d’unité. On aurait dit que la république de Weimar,  après des années de troubles internes et externes, reposait enfin sur de solides bases. 

Que le KPD ainsi que Hugo Salzmann le voient autrement s’explique par ce que l’on appela l’Internationale Communiste (abréviation Comintern ou CI) ou aussi Troisième Internationale. Cette Troisième Internationale suivait la Deuxième Internationale, dissoute durant la première guerre mondiale. En 1919, Lénine – entretemps devenu Président du Comité des Commissaires du peuple et Chef indiscuté de l’Etat soviétique -  initia la Troisième Internationale à  Moscou. Ce fut un regroupement international des partis communistes en une organisation mondiale. Dès le début, les bolcheviks russes, qui plus tard engendrèrent le KPdSU, jouèrent un rôle prédominant. Ils veillèrent à ce que le principe organisationnel et directeur de Lénine, le dit centralisme démocratique, ainsi que les 21 „principes sur les conditions d’adhésion à l’Internationale Communiste“  soient obligatoires. Le premier exigeait que „les réformistes de toutes tendances soient systématiquement et impitoyablement stigmatisés“. 

Ceci était une déclaration de guerre aux sociaux-démocrates et aux socialistes non-révolutionnaires. Après la mort de Lénine, et sous son successeur Staline, cette orientation se durcit. Avec la „théorie du socialisme dans un pays“ de Staline – en Union soviétique – le Comintern se rattacha définitivement au KPdSU et devint le véhicule de la politique étrangère soviétique. Les partis communistes nationaux perdirent leur indépendance et furent – avec les sections du Comintern – soumis aux ordres de la direction du Comintern de Moscou. Dès 1928, le Comintern s’éloigna du modèle  d’un front uni des partis de gauche. Dans le cadre de la „thèse du fascisme social“, les sociaux-démocrates furent déclarés ennemis  principaux du mouvement communiste mondial. Un de ces porte-paroles était le président du KPD Ernst Thälmann. Il incita à combattre  tous les gouvernements sociaux-démocrates européens, considérés comme des „traîtres sociaux“ et à la « mobilisation des masses prolétaires pour précipiter la chute de ces gouvernements“.
  
C’est lors de réunion politiques et en particulier lors de cours de formation du KPD que furent transmises à Hugo Salzmann cette vision du monde et cette estimation des relations politiques internes en Allemagne. Il intégra ces idées comme le montre ses activités politiques à Bad Kreuznach. Sans celles-ci, il ne serait pas devenu le fonctionnaire communiste local qu’il a été à partir de 1925.

En 1925, Hugo Salzmann devint vice-président et directeur organisationnel du KPD de Kreuznach. En même temps, se créa un groupe local de l’union  du front combattant rouge, dont il devint également un des organisateurs. L’union du front  combattant rouge  (RFB) était en fait une organisation combattante paramilitaire du KPD. À Kreuznach,  le RFB servait en premier lieu de publicité  à l’adhésion d’autres classes ouvrières au KPD et se montrait surtout lors de manifestations et de défilés avec sa fanfare.

C’est grâce aux rapports de l’administration de la police locale au parlement du Land de Kreuznach, et aux rapports de celle-ci au Président du gouvernement de Coblence, que nous avons quelques connaissances des activités politiques d’Hugo Salzmann à cette époque – en tant que vice-président du KPD de Kreuznach-. En effet,  les activités des communistes étaient également surveillées par la police sous la République de Weimar.

Les thèmes des assemblées du KPD étaient des impressions et des compte-rendu des voyages en Russie, après la mort d’un jeune communiste de Kreuznach  la vive opposition contre le grand capital,  la justice et  la police, le fossé séparant pauvres et riches et les  salaires exagérément  élevés des hauts-fonctionnaires,  ainsi que la politique allemande de l’après guerre. C’était souvent  Salzmann, qui convoquait à ses réunions, ou bien il en était le conférencier, ou encore il animait les discussions. À côté de cela, il participait aux manifestations du 1er Mai et même au jour publicitaire de l’union du front des combattants rouges. 

Non seulement Salzmann prononçait des discours aux réunions du KPD, mais il faisait aussi des apparitions dans quelques autres partis.

Une réunion organisée par le NSDAP, le 14 avril 1928 à Bad Kreuznach à l’occasion des élections parlementaires du Reich et des Länder prévue pour le 20 mai 1928, prit une tournure particulière. Apparemment c’était une des premières réunions du NSDAP là-bas. Il y eût des manifestations dès le départ, car le public avait été informé que les juifs n‘auraient pas accès à cette réunion. Outre quelques jeunes adhérents  du NSDAP et d’autres auditeurs, un grand nombre de communistes et même de juifs, vinrent,  en partie en utilisant la force, à ce rassemblement. D’après le rapport de police, les frères Baruch, juifs, et champions de lutte, s’étaient postés à l’entrée et encourageaient d’autres juifs et travailleurs communistes à prendre part à la réunion. Un tumulte se déclencha dans la salle et dans les couloirs, dès le début de la séance. Soudain, la lumière s’éteignit dans la salle ; des tables furent renversées ; on se battait en jetant des chaises. La police intervint et fit évacuer le local.

La réunion eut lieu de nouveau deux semaines plus tard au même endroit. Cette fois-ci, le NSDAP était paré et était venu avec une centaine de SA de  Cologne, de Coblence et de Wiesbaden. Une chaîne d’hommes en uniforme se posta devant le podium sur lequel le comité directeur de l’union locale de Bad Kreuznach et l’orateur avaient pris place. Puis le rédacteur en chef du journal nazi „Observateur occidental et allemand“, Joseph Grohé prit la parole. Il commença par expliquer que les perturbations deux semaines auparavant,  étaient l’œuvre d’une « racaille subventionnée »,  et que les nationaux-socialistes étaient capables de  protéger leurs réunions eux-mêmes, si la police n’était pas en mesure de la faire.  Il tint un discours propagandiste contre, selon lui, un „système corrompu et incapable, hérité de novembre“ – donc critique envers la République de Weimar,  les sociaux-démocrates et autres politiciens démocrates.
Cette rhétorique radicale venant de gauche comme de droite, n’eut guère d’influence sur  les résultats  des élections parlementaires du Reich et du Land de la Prusse le 20 mai 1928. Les nazis firent leur entrée au Reichstag avec 12 sièges, alors que le  KPD en obtenait 54. Le vainqueur incontesté fût néanmoins le SPD avec 153 sièges.

Annonce de la réunion électorale du NSDAP
 le 29 avril 1928 à Bad Kreuznach

Résultats des élections  au Reichstag, du 20 mai 1928 – en détail – lire ICI 

Entretemps, Hugo Salzmann avait épousé en premier mariage Änne Buchert d’Offenbach sur le Main en octobre 1929. Änne avait un parcours similaire à celui d‘Hugo. En tant que jeune syndicaliste, elle passa de la Jeunesse ouvrière socialiste (SAJ) à l’association de la jeunesse communiste (KJVD). Elle y travaillait depuis le début et  participa à beaucoup de conférences, de formations politiques etc. Ils se rencontrèrent certainement de cette manière.

Änne Buchert/Salzmann vers 1930.
(source: cercle d’études de la résistance en Allemagne 1933-1945)

Rue  „Beinde“ dans la vieille ville de Bad Kreuznach ; 1er domicile autonome d’Hugo Salzmann, vers 1900 
(source : archives de la ville de Bad Kreuznach)

 

Tous deux emménagèrent début 1930 dans un appartement  à Bad Kreuznach. Mais cette union ne dura pas longtemps. Ils reconnurent qu’ils s’étaient trompés. Des antécédents familiaux semblables, la même socialisation, les mêmes opinions syndicales et politiques et les mêmes activités n’étaient pas la garantie  d’une relation durable et stable. Déjà en 1930, le couple se sépara et Änne déménagea à Francfort sur le Main. Un peu plus tard, le divorce fût prononcé. Änne Salzmann prit rapidement contact avec le KPD à Francfort et travailla activement au sein du parti.  Jusqu’à la fin de sa vie – elle mourût en 2005 – elle resta une communiste active et socialement engagée.

Pendant ce temps, alors que la première union d’Hugo Salzmann était mise à rude épreuve et finissait par se dissoudre, la démocratie allemande subissait le même sort. Les années qui suivirent 1924 furent caractérisées par un essor économique néanmoins sensible aux crises et ce même essor finit par s’affaiblir considérablement en 1928. Le déclin arriva le 24 octobre 1929. Ce fameux  jour, le „Vendredi Noir“, le cours des actions de la Bourse de New York chuta dramatiquement. Ce fut le plus grand crash boursier encore jamais connu. Il déclencha une crise économique mondiale.

Dans un climat de crise économique mondiale, les semences des nationaux-socialistes commencèrent à lever. Lors des élections du parlement du Land provincial prussien, les nazis purent, en comparaison aux élections du 20 mai 1928, augmenter leur score de presque 160%. Ils n’étaient que 350 000 votants en 1928, un an et demi  plus tard, ils furent presque 900 000 à voter pour le NSDAP. Cela amena énormément de nazis à des assemblées de conseillers municipaux et aux parlements provinciaux des Länder. Même le KPD gagna des voix. À Kreuznach ils purent augmenter le nombre de conseillers municipaux de 4 à 6. Hugo Salzmann était un de ces nouveaux conseillers. Il était, du haut de ses 26 ans, à la fois le membre le plus jeune et assumait  également le poste de responsable social auprès des chômeurs et des démunis.

Salzmann devint l’homme fort du KPD de Kreuznach et du syndicat. À travers son engagement dans le syndicalisme, Salzmann s’était constitué une position confortable d’où il pouvait appliquer la stratégie du KPD sur le terrain. Le KPD avait proclamé dès le début de 1930 l’ « entrée dans une zone de combat révolutionnaire ». Leur agitation visait à agrandir le cercle des sympathisants et des votants,  et à gagner le peuple. Cela se passait aux dépens du SPD, qui avait peu de marge de manœuvre de contribution gouvernementale dans le cadre de la grande coalition et restait hésitant. Lorsqu‘Ernst Thälmann revint début 1930 de Moscou, il lança son appel « au combat final pour la libération des ouvriers, pour renverser le capitalisme, pour la dictature du prolétariat », pour une « „défense de notre mère patrie socialiste, l’union soviétique », pour le « combat contre le fascisme social » et pour « la révolution allemande et la révolution mondiale ». 

Un important sujet local, revenant sans cesse, était le chômage et la faim. Même à Kreuznach s’était formée une commission de chômeurs à la tête de laquelle se trouvait Hugo Salzmann. Pour lui, c’était une plate-forme qu’il pouvait occuper sans se soucier de la concurrence. Les communistes et Hugo Salzmann attaquèrent sans cesse les sociaux-démocrates. Fidèles aux paroles de Staline, ils considéraient  le fascisme et la social-démocratie non comme des antipodes mais comme des frères jumeaux, et  diffamaient les sociaux-démocrates en les traitant de «socialo-fascistes Les communistes, y compris Hugo Salzmann,  étaient tout simplement foncièrement contre  tout ce qu’ils n’avaient pas initiés eux-mêmes ou qu’ils ne pouvaient contrôler. Ainsi, ils parvinrent à minimiser l’évacuation de la région du Rhin par les soldats d’occupation français, alors que les habitants de la région rhénane, et l’ensemble de la population allemande fêtait l’événement comme  « jour de la libération ». 

Évacuation de la région du Rhin par les Français, ici: l’évacuation de la  zone 2,  
Coblence et de ses environs en 1930.

 

1. Page spéciale du journal de Kreuznach du 30 juin 1930:
„Libération de la région du Rhin“ 

Allant dans le même sens,  Salzmann s’exprima lors de l’évacuation de la 3ième zone, celle de Mayence, le 30 juin1930.

Salzmann à propos de l’évacuation des Français de la zone de Mayence le 30 juin: 

„On parle beaucoup des fêtes de la libération lorsque les Français partent. Les communistes ne fêtent aucune libération, car lorsque le capitalisme français s’en va, le capitalisme allemand arrive. Les communistes fêteront  la libération, lorsqu’arrivera une révolution mondiale. “

 

Entretemps, la destruction de la première démocratie allemande avait commencé. Le dernier gouvernement du Reich légitimé démocratiquement, une grande coalition sous la direction du chancelier SPD du Reich Hermann Müller, était tombée suite aux demandes d’augmentation d’allocations au chômage. Le temps des cabinets présidentiels était venu. Il s’agissait de gouvernements du Reich, qui n’eurent aucune majorité au Parlement, mais qui dépendaient essentiellement de la bienveillance de Von Hindenburg (ancien général feld-maréchal) et entretemps élu président du Reich. Ils étaient pour ainsi dire des gouvernements de Hindenburg. Lorsque le gouvernement du Reich,  sous le chancelier Brüning (du centre catholique),  ne trouva plus de majorité au Reichstag pour ses propositions de lois, ce dernier fut dissous et de nouvelles élections furent organisées pour le 14 septembre 1930.

De nouveau, il y eut de nombreuses réunions de partis politiques. Hugo Salzmann se montra particulièrement actif, puisqu’il fut proposé comme candidat au  Reichstag. Ses paroles  étaient virulentes.

Hugo Salzmann à propos des élections du Reichstag du 14 septembre 1930:

„Nous nous battons pour la liberté, pour le travail, pour le pain et pour le pouvoir! – Prolétaires de tous les pays, unissez-vous! Vive le combat pour une Allemagne de soviets. »

 

Les élections ultérieures reflétèrent les conséquences politiques de la crise économique mondiale et furent une catastrophe pour la démocratie. Le NSDAP atteint 18,3 % des voix et pût multiplier quasiment par neuf son nombre de députés (de 12 à 107). Il était désormais après le SPD et avant le KPD, le second groupe parlementaire.  Le SPD avait perdu un grand nombre de voix, le KPD avait fait d’énormes gains de voix aux dépens du SPD – il y avait eu une poussée  à gauche chez les ouvriers. Avec un pourcentage de voix de 13,1 %, le KPD disposait désormais de 77 sièges. Hugo Salzmann n’en faisait pas partie. 

Résultats des élections du Reichstag du 14 septembre 1930, à Bad Kreuznach et dans tout le Reich. Lire ICI

À partir de là, parût le journal de l’union locale du KPD de Bad Kreuznach, dont le contenu incombait à Hugo Salzmann: „La „fusée éclairante“ avec comme sous-titre: „Journal  militant pour le combat des classes prolétaires et le socialisme – Contre l’enlisement social-démocrate et le fascisme“. Les informations divulguées par la  „fusée éclairante“  étaient très virulentes. Cela alla même jusqu’à diffamation et attaques véhémentes contre un fabricant en cuir par exemple, qui apparemment, soutenait financièrement le „casque d’acier“. Le « casque d’acier » était  une organisation paramilitaire du DNVP, l’ „organisation des soldats du front revenus invaincus“. Ce fabricant voulait expulser de son entreprise  les membres des Syndicats libres  au profit de „casques d’acier“ ; de plus, il payait très mal ses employés, et  en particulier ses employées. Les insultes massives envers ce fabricant,  et envers d’autres étaient  inexcusables ;  même si  la presse nazie, dont la diffusion était beaucoup plus importante, utilisait les mêmes méthodes. 

Le nouveau gouvernement formé après les élections menant Brüning à la chancellerie continua de suivre  la même ligne directrice politique et était  cette fois toléré par le SPD. En premier lieu, sa politique était concentrée autour de la remise en état du budget public, pour ainsi dire la politique de déflation. Ensuite il fallait résoudre le problème des dettes  et du budget du Reich, des Land et des communes,  en prenant des mesures draconiennes d’épargne tant au niveau des couts matériels que des couts de personnel. Cette politique visait à maîtriser  la crise sur le dos des ouvriers et des chômeurs, et était donc foncièrement socialement inégalitaire. Mais ce n’était pas tout. Elle n’était pas une solution en soi pour désamorcer la crise,  mais au contraire l’amplifiait. En raison des mesures d’épargne budgétaires et de la baisse des revenus privés, une grande partie de la population avait beaucoup moins d’argent à disposition, la demande  des biens de consommation baissa, entraînant une baisse de la production également. Il s’en suivit d’autres licenciements. L’augmentation du chômage continua de faire baisser les revenus ainsi que la demande en biens de consommation. C’était un cercle vicieux.

Hugo Salzmann „Fusée éclairante“ Nr. 15 
du 12 Juin 1931. – de nouveau à propos des questions économiques- 
(source : archives de la ville de Bad Kreuznach)

Cette politique à grande échelle atteint même Bad Kreuznach. Pour cette raison, Hugo Salzmann lança une requête au conseil municipal, pour que soit versée une aide financière aux plus démunis de la ville, pour le réveillon de Noel. Les partis bourgeois  et l’administration municipale rejetèrent la requête d’Hugo Salzmann. La persévérance de Salzmann porta pourtant ses fruits en dernière minute, la ville versa cette allocation peu avant Noel.

À peine les aides aux démunis avaient elles disparues des informations locales, qu’elles firent place à un nouveau sujet : Les „casques d‘acier“ voulaient célébrer les soixante ans de la création du Reich allemand (en 1871), et se servir de Bad Kreuznach en tant que „scène“. Une grande fête devait avoir lieu les 17 et 18 janvier 1931.

Les festivités commencèrent par une heure de consécration et se terminèrent par une retraite au flambeau suivi d’une grande „extinction des feux“. Mais les „casques d‘acier“ n’étaient pas les seuls à s’être préparés pour ces festivités. Les communistes l’étaient aussi. La police resta maîtresse de la situation malgré les troubles causés  par les communistes.

„Fusée éclairante“ Nr. 9 du 18 janvier 1931 

Hugo Salzmann , plus tard, à propos des festivités du „casque d’acier“:

„Les habitants de Kreuznach en ont assez du militarisme et ne veulent plus de démonstrations militaires de ce genre dans leur ville. Il s’agit maintenant de créer un front d’unité ouvrière. Un tel développement s’annonce. Des sociaux-démocrates,  membres depuis 20 ans, viennent à nous par milliers car ils se rendent compte que leurs leaders soutiennent le fascisme. “  

 

Il était là, ce fameux appel tant attendu, appel à une action collective des partis ouvriers contre le fascisme, le Front antifasciste – mais cet appel sonnait creux. Car en vérité les leaders du KPD ne voulaient pas d’un front commun avec „ce“ SPD. Il s’agissait plutôt d’attirer des membres du SPD ainsi que leurs sympathisants,  et de les rallier à leur cause. Ils continuaient à insulter les dirigeants  du SPD et à les porter en diffamation. C’était le but recherché: inciter la base du SPD à entrer en conflit avec ses dirigeants et autres organisateurs. Affaiblir le SPD  en récupérant les membres de sa base. Ce regroupement d’antifascistes devait rejoindre l’union militante antifasciste dont le leader à Bad Kreuznach était Hugo Salzmann.

En 1931, la date exacte reste inconnue, les nazis commirent un attentat contre Hugo Salzmann. Dans un but meurtrier, les nazis avaient tendu un long câble d’acier en travers d’une des routes qu’il prenait pour la énième fois pour se rendre à moto à une conférence. Le plan ne réussit pas entièrement. Hugo Salzmann perdit le contrôle de son véhicule, mais il s’en sortit toute fois avec quelques blessures et en fut pour la peur.  

Lieu de rassemblement très fréquenté: 
Le marché des œufs

Hugo Salzmann à l‘hôpital après l’attentat échoué en 1931. (source : privée)

Entre temps  violence politique et émeutes dans les rues et dans les salles étaient devenues un évènement quotidien dans tout le Reich allemand. La plupart du temps, la police arrivait trop tard; d’ailleurs, de plus en plus de policiers commençaient à sympathiser avec les militants d’extrême-droite.     

Fin octobre 1931, la violence était parvenue jusqu’à Bad Kreuznach et s’était manifestée  lors d’une réunion du NSDAP. La réunion avait commencé avec à peu près 1000 participants, dont presque la moitié était des communistes. Au programme, un exposé ayant pour sujet „Croix gammée et étoile soviétique“ qu’un national-socialiste de Berlin présenta. Il décrivit,  comment, quelques années auparavant, il était passé d’activiste du KPD  au national-socialisme. Il en vint à quelques expressions bien marquantes comme: „Les communistes ne sont rien d’autre que des pions dupés par Staline. Ce dernier ne s’inquiétant guère du bien être de la classe ouvrière internationale mais plutôt en tant que bolchévique national russe cherchait à remettre la Russie sur pied. Nous ne sommes entrés au parlement  que pour monter la vérité au peuple et pour envoyer le parlement au diable. “ 

Lors de la discussion qui suivit, Hugo Salzmann prit la parole. Il précisa que la confrontation n’était pas entre la croix gammée et l’étoile soviétique mais entre le capitalisme et le bolchévisme. À ce propos les nazis étaient du côté du grand capital tandis que les ouvriers du NSDAP rejoindraient les communistes. Il conclut par un appel „Front rouge!“.Une partie de l’assemblée approuva, tandis que l’autre partie protestait vivement. Il s’ensuivit un tumulte général. 

Les confrontations violentes lors de cette réunion du NSDAP amenèrent à une information judiciaire de la part du ministère public de Coblence, contre Hugo Salzmann et d’autres communistes, pour atteinte à l’ordre public. Six mois plus tard cependant un non-lieu fut rendu. Impossible de prouver, que les communistes aient délibérément voulu torpiller la réunion,  et impossible de savoir qui avait commencé la bagarre. 

Les esprits s’étaient échauffés fin octobre 1931 à Bad Kreuznach lorsque, deux semaines auparavant, des mouvements nationalistes de droite – le NSDAP, le DNVP, les „casques d‘acier“, le Reichslandbund et l’association « supra-allemande » – à Bad Harzburg  avaient appelé à un rassemblement avec défilés, en présence d’Auguste Wilhelm (« Auwi »), prince prussien,  fils de l’empereur, et chef de groupe SA. La droite rassemblée s’accorda sur une démarche commune contre le gouvernement fédéral de Brüning.

En réponse au „Front de Harzburg“, le SPD, l’ADGB, (Union générale syndicale allemande) l’organisation Afa (Union libre générale des employés), la Bannière du Reich Noir-Rouge-Or et l’association sportive ouvrière  (ATSB) formèrent avant Noel 1931 le „Front de fer“. 

Cela constituait un effort d’unification contre extrémistes de droite et nationaux-socialistes – mais uniquement du côté du SPD. Le KPD étant exclu.  Cela mena à une dispute virulente à Bad Kreuznach entre „gauchistes“. Le sujet de la dispute était les Syndicalistes libres. Comme expliqué précédemment, ils participaient de façon déterminante au „Front de fer“ et travaillaient entre autre avec le SPD. C’était précisément la raison pour laquelle les syndicats de Kreuznach invitèrent le président social-démocrate du Reichstag Paul Löbe à une manifestation. Mais cela amena à des confrontations violentes avec Hugo Salzmann et les communistes locaux. Car Salzmann, en tant que président de l’ADGB de Bad Kreuznach n’avait pas été informé de cette invitation.  Il n’était pas non plus dans l’intérêt des communistes qui dominaient cette association, que les syndicats offrent une tribune à un leader social-démocrate. Cette manifestation eût tout de même lieu et mit de l’huile sur le feu des controverses entre les sociaux-démocrates et les communistes.  Salzmann porta le „Front de fer“ en diffamation en le traitant de « front de ferraille »,  et dit que le SPD ne pouvait  se servir des syndicats pour leur „magasin politique en faillite“ contre la volonté du président de l’association locale (donc la sienne). Le SPD de Kreuznach répliqua que Salzmann devait prendre conscience que les Syndicats libres s’étaient associés au „Front de fer“ au niveau du Reich. Le KPD de Kreuznach quant à lui, décida d’élargir sa définition de „socialo-fascistes„ et d’y inclure outre les sociaux-démocrates, le  „Front de fer“ qu’il ne voyait pas comme un front contre le fascisme mais plutôt contre la classe ouvrière – rien d’autre que la „chair de la chair d‘Hitler“. Dans cette phase décisive de la dissolution de la République de Weimar et un an avant la prise de pouvoir d’Hitler, les relations entre les sociaux-démocrates et les communistes étaient tendues à Kreuznach – comme partout ailleurs -  et la relation avec l’association locale, que présidait Hugo Salzmann  sérieusement troublée.  

 La „fusée éclairante“ d’Hugo Salzmann du 29 octobre 1931 avec une critique virulente de la politique du SPD.
(source : archives de la ville de Bad Kreuznach)

Pendant qu’ouvriers et gauchistes se combattaient mutuellement à Bad Kreuznach, les nazis progressaient et gagnaient en popularité. Ils purent améliorer leurs succès électoraux quasiment sans entrave. Ils ne réussirent pas à imposer leur candidat, Adolf Hitler, à la présidence du Reich aux élections de mars-avril 1932 mais  le président du Reich Von Hindenburg ne fut élu qu’au second tour. Lors de celui-ci Hitler obtint 36,8 %,  le candidat communiste Ernst Thälmann  10,2 % et Von Hindenburg  53% des voix grâces aux sociaux-démocrates et aux catholiques. La percée électorale d’Hitler montra le potentiel électoral des nationaux-socialistes depuis les dernières élections du Reich de septembre 1930. Ils avaient obtenu 5 millions de voix en plus.  Même à Bad Kreuznach, une personne sur quatre avait voté pour le NSDAP.  

Il n’en fut pas autrement deux semaines plus tard lors des élections du Parlement du Land de Prusse. Ici aussi, une personne sur quatre vota pour les nazis. Résultat des élections du Parlement du Land de Prusse : SPD 94 sièges, KPD 57 sièges, DDP 2 sièges, Centre 67 sièges, DVP 7 sièges DNVP 31 sièges et NSDAP 162 sièges. 

C’était le premier résultat de ce type, d’autres suivirent aux élections du Reich. Ces élections détruisirent définitivement le centre démocratique qui allait des libéraux de gauche du Deutschen Demokratischen Partei (DDP) jusqu’au parti conservateur Deutschen Volkspartei (DVP) en passant par les partis du centre. En même temps cela amena les partis politiques modérés – à gauche, le SPD et à droite, le Deutschnationale Volkspartei (DNVP) – à de grosses pertes et les isola de la scène politique. Les partis capables de former une coalition devinrent minoritaires. D’un autre côté, les groupes refusant les compromis gonflèrent – à gauche le KPD et à droite le NSDAP – et devinrent une « fausse majorité », une majorité qui n’était unie que dans un sens négatif. Ce qui fut décisif pour le destin parlementaire de la République de Weimar,  fut que les partis – KPD et NSDAP – se comportèrent de façon antiparlementaire  au parlement et menèrent le parlementarisme ad absurdum.
Hitler avait tenu auparavant un discours lors d’une réunion du NSDAP à Bad Kreuznach devant 35 000 auditeurs. Selon un article de presse, les personnes rassemblées chantèrent debout l’hymne allemand avec le bras levé et le « Führer »  quitta sa tente sous les clameurs de la foule engouée.

Adolf Hitler lors d’une réunion électorale du NSDAP à Bad Kreuznach le 21 avril 1932. 
(source : archives de la ville de Bad Kreuznach)


Lors des élections du 31 juillet 1932 le NSDAP obtint le meilleur résultat jamais atteint et forma la fraction la plus représentée au Reichstag allemand. Cependant, il n’obtint pas la majorité et ne pu donc former un gouvernement sous sa direction. 

Résultats des élections au Reichstag du 31 juillet 1932. À Bad Kreuznach et dans tout le Reich. Lire ICI

Pendant ce temps, Hugo Salzmann tomba à nouveau amoureux. Le 22 octobre 1932, il épousa en deuxième mariage Julianna, née à Sternad. La même année, Julianna mis au monde le petit Hugo. 

Hugo Salzmann vers 1932. (source : privée)

« Fusée éclairante » d’Hugo Salzmann, No. 48 du 29 septembre 1932, avec critique de la politique de
Büning  et envers les syndicats. (source : archives antifa d’Hermann W. Morweiser)

La femme d’Hugo Salzmann, Julianna, était autrichienne, née le 5 février 1909 à Kothvogl, un village dans les environs de Stainz en Steiermark. Elle était la douzième des treize enfants d’un cordonnier. Lorsque la mère mourût prématurément, l’aînée Ernestine s’occupa de Julianna et de sa sœur encore plus jeune. Après l’école élémentaire, Julianna chercha sans succès  une place d‘apprentissage, de temps en temps, elle accepta des travaux de couture, ce qui lui permettait au moins d’améliorer un peu le revenu familial.  Passé 20 ans, elle décida de ne plus vivre aux dépens de son père et de sa sœur aînée, elle fit son baluchon et quitta son pays. On ne sait ni pourquoi, ni comment elle se retrouva à Bad Kreuznach précisément.  Nous ne savons d’ailleurs pas comment Hugo et Julianna se  rencontrèrent et  tombèrent amoureux l’un de l’autre. Le premier contact entre eux  eut lieu sans doute, alors que Julianna cherchait du travail et qu’Hugo s’occupait des sans emploi et des démunis. Peut-être lors d’un entretien à la mairie de Kreuznach entre Julianna et le député et responsable social Hugo Salzmann. Ils tombèrent en tous cas amoureux l’un de l’autre. À l’époque le ménage d’Hugo Salzmann et d’Änne Buchert n’existait plus depuis longtemps . Ils avaient officiellement divorcé en avril 1932. Julianna emménagea chez Hugo dans son appartement de Bad Kreuznach. 

Ce bonheur familial n’était pas né sous une bonne étoile et devait  bientôt cesser d’être, dans les circonstances chaotiques de la fin de la République de Weimar et avec la venue de la terreur nazie. Hugo Salzmann entretemps faisait voir rouge les nazis locaux. Ses adversaires, ou plutôt ses ennemis, les plus acharnés étaient Ernst Schmitt directeur du NSDAP de la région de Kreuznach ainsi que son ami Christian Kappel chef des SA.  Kappel, qui avait plusieurs fois menacé Salzmann ;  que la balle qui lui était destinée était déjà coulée, pour le cas où il lui tomberait entre les mains. Salzmann ne restait pas inactif. Il avait acheté un pistolet à un colporteur et s’était mis en tête de tuer Hitler – le tuer au plus tôt, car il serait trop tard s’il venait au pouvoir. Ses camarades, à qui il fit part de ses plans, le lui déconseillèrent. Ainsi Salzmann ne poursuivit pas son projet mais garda le pistolet en sa possession. Il fût arrêté par la police en janvier 1933, lui et un ami à cause d’un mouchard.

Hugo et Julianna Salzmann dans leur appartement, Beinde 21 à Bad Kreuznach.
(source : privée)

L’accusation de détention d’arme sans autorisation l’amena même devant le juge d’instruction de Bad Kreuznach mais cela fût sans conséquences juridiques et il fut libéré. 

Depuis les élections du président du Reich début 1932, « guerre civile » était devenu le mot clé politique de l’année. Cette guerre civile latente s’était aggravée dans le cadre des élections du Reichstag du 6 novembre 1932. À la guerre civile s’ajouta une « guerre des votes » accompagnées de manifestations et de batailles de rues. Le NSDAP eut la surprise d’essuyer des pertes électorales. 

Résultats des élections du Reichstag du 6 novembre 1932, à Bad Kreuznach et dans tout le Reich. Lire ICI

Il restait néanmoins le parti politique dominant du Reichstag et forma avec un KPD rattrapant son retard électoral une « majorité négative ». Le chancelier Franz Von Papen dirigeant depuis seulement quelques mois, perdit à cause de cela la confiance du président du Reich Von Hindenburg et celui-ci nomma début décembre 1932 le général de la Reichswehr Kurt Von Schleicher au poste de nouveau chancelier du Reich. 

Le combat final pour le pouvoir avait commencé.  Même à Bad Kreuznach, le combat se déroulait étape par étape: le 3 janvier 1933, les casques d’acier organisaient dans la grande salle un rassemblement avec le prince Wilhelm de Prusse, le fils aîné du prince héritier.  Pour le 21 janvier 1933, le KPD appela la Jeunesse communiste et l’Association militante à prendre part à une manifestation organisée contre le fascisme. Deux jours plus tard eût lieu la réunion des nationaux-socialistes. Ils durent fermer avec l’aide des policiers car la salle était comble. 

Peu après, le chancelier du Reich, Kurt Von Schleicher était au bout du rouleau, il annonça sa démission le 28 janvier 1933. 

La voie était libre pour Von Papen et son idée d’un gouvernement soutenu par les nationalistes, certains conservateurs et les nationaux-socialistes. Le 30 janvier 1933, le président du Reich Von Hindenburg nomma le président de la fraction la plus importante du Reichstag, Adolf Hitler, au poste de chancelier du Reich. Son gouvernement d’unité nationale ne comportait que deux nationaux-socialistes (Frick et Göring). Von Papen devint vice-chancelier, les autres ministres étaient membres du DNVP, des casques d’acier ou sans affiliation politique quelconque. Ainsi, Hitler était formellement arrivé au pouvoir de façon „légale“ et il était assuré  d’un soutien considérable du côté populaire et conservateur ainsi que de celui  de la Reichswehr. Peu y virent le danger. 

L’ex-chancelier du Reich et, désormais  vice-chancelier, Franz Von Papen à un conservateur critiquant la
nomination de Hitler au poste de chancelier du Reich le 30 janvier 1933:

„Que voulez-vous de plus? J’ai la confiance de Hindenburg. Dans deux mois, nous auront poussé Hitler dans un coin et on ne l’entendra plus. “

 

Le journal de Bad Kreuznach le « jour d’après » (31 janvier 1933)

Même les communistes ne mesurèrent pas l’ampleur du danger. Après tout, la prise de pouvoir par Hitler était une raison suffisante pour que le KPD, le SPD, la Bannière du Reich Noir-Rouge-Or, l’ADGB et l’Association des ouvriers dans la métallurgie se retrouvent dans une manifestation dans l’intérêt du mouvement ouvrier. Pour les communistes, Hugo Salzmann appela les 3000 ouvriers et sympathisants rassemblés à se défendre contre le démantèlement des droits sociaux mené par le gouvernement. À la suite de quoi, les manifestants défilèrent dans les rues de la ville,  avec drapeaux et  fanfare.  

Ce même soir du 31 janvier 1933, les nazis et leurs sympathisants à Bad Kreuznach s’étaient mis en route pour fêter la  prise de pouvoir de Berlin. Des passants leur jetèrent des pierres. Trois participants furent blessés et quelques vitrines de magasin brisées.   

Pour la dernière fois, Hugo Salzmann se montra dans une réunion du KPD, le 7 février 1933. Il était devenu très prudent.

 

Hugo Salzmann le 7 février 1933:

„Nous vaincrons lentement mais sûrement. (…) Ils peuvent nous enfermer ou nous battre à mort, cela ne fait rien, des milliers de combattants se relèveront. Pour conclure, je dirais: l’ouvrier a besoin du paysan et le paysan a besoin de l’ouvrier. “

 

Les communistes étaient les ennemis politiques les plus ardents des nazis. Mais même eux – et Hugo Salzmann n’en était qu’un parmi beaucoup – sous-estimaient les nationaux-socialistes,  leur volonté de pouvoir, leur succès auprès des électeurs et du peuple, leur démagogie, leur brutalité et leurs actions de terreur. 

Tard,  bien trop tard, en exil,  le président du KPD Wilhelm Pieck prononça une autocritique des communistes:

Le président du KPD Wilhelm Pieck plus tard en exil à propos de l’échec du KPD:

„C’est parce que nous avons-nous mêmes sous-estimé le danger fasciste, ne l’avons pas  suffisamment signalé à la classe ouvrière, et qu’au contraire nous nous sommes confrontés comme avant à la social-démocratie et à la démocratie populaire, que nous ne sommes pas parvenus  à mobiliser la classe ouvrière au combat contre le fascisme. “

 

Affiche du NSDAP à propos des élections du Reichstag 
le 5 mars 1933